PAS DE TITRE ENCORE

Chapitre I

 

 

Jacques a six ans.

Son père vient de mourir. C'est le deuxième mort qu'il voit. L'année dernière c'était son petit frère. Un bébé de huit mois, ce n'était pas si grave ! Il y avait déjà Guy, joyeux bambin de presque quatre ans et Jacques trouvait qu'un frère c'était bien suffisant.

De père cependant l'enfant n'en a pas d'autre, et il sait aujourd'hui ce que mort veut dire.

Il sait qu'il ne reviendra pas le magicien qui à l'aide d'un pinceau et de quelques couleurs faisait naître sous le regard émerveillé de son fils, des arbres et des rivières, des fleurs et des oiseaux sur une toile blanche. Il sait qu'il n'entendra plus le conteur fabuleux aux mille et une histoire, qui lui a apprit à lire avant l'âge de l'école. Il sait que plus jamais il ne pourra glisser sa main dans celle grande et forte qui le guidait sur les bords de la seine ou bien dans la forêt. Oui, jacques sait bien ce que mort veut dire. Tout comme le petit frère, son père va partir sous la terre et ne plus en sortir.

Oh il avait bien vu que son père était malade. Lui même avait attrapé froid un jour et avait dû rester bien au chaud dans son lit pendant des jours et des jours. Son père aussi avait prit froid et restait dans son lit toussant à perdre haleine. Deux ou trois fois il avait été réveillé dans la nuit par la toux rauque et caverneuse qui depuis que son père était couché s'achevait immuablement dans un flot de sang écarlate.

C'était tout ce sang qui faisait peur à Jacques, car d'aussi loin qu'il se souvienne, son père avait toujours toussé. Il avait souvent vu le mouchoir rouge et blanc que son père tirait de sa poche presque après chaque quinte.

Le médecin non plus ne lui faisait pas peur. C'était un habitué qui s'en venait souvent distribuer tisanes et potions et ordonner aux petits de prendre sans moufter l'huile de foie de morue que chaque matins les gamins dociles avalaient, l'estomac retourné.

Tout à l’heure, Jacques est monté avec maman « dire au revoir à papa ». Sa grand-mère, la maman de son père pleurait au pied du lit. Jacques s’est penché pour embrasser la peau froide, puis est allé se blottir dans les bras de sa grand-mère. Par-dessus son épaule, dans la pénombre des volets clos, il a vu le miroir voilé de noir. Et puis il s’est sauvé. Il a couru très vite bousculant son petit frère et maman qui montaient, pour aller se cacher et pleurer à son aise.

Son père est mort hier et déjà on l’enterre. Il fait froid dans l’église et encore plus dehors. Jacques a mit son beau costume noir, qui vient de son cousin mais a encore fière allure. Dans les chaussures brillantes, ses pieds recroquevillés lui font un mal de chien. Il s’en veut d’y penser, s’en veut de s’ennuyer, s’en veut de frissonner. Il n’aime pas tout ces gens qui viennent l’embrasser, le serrer dans leurs bras et laisser sur sa joue une trace mouillée qui gèle au vent glacé. C’est le printemps pourtant mais le ciel ne le sait pas.

Le ciel !

C’est là qu’est son papa. C’est ce qu’a dit sa mère. Et sa grand-mère aussi. Pourtant Jacques la voit cette boite en bois qui descend dans la terre. Il a bien vu aussi qu’on y mettait son père. Comment son papa pourrait-il s'échapper de ce cercueil que les hommes ont vissé ? Comment pourrait-il monter au ciel lesté de ces planches vernies ? Au ciel, c'est aussi là a dit maman que le petit Michel est allé... mais Jacques a eu beau souvent regarder, jamais il n'a pu apercevoir son petit frère ! Jacques pourtant sait regarder. C'est une des premières choses que son père lui a apprit.

A six ans il sait faire la différence entre voir et regarder. Mais il a beau regarder, il ne voit pas !

 

Au 35 de la rue Pierre Corneille, c'est l'effervescence.

Dès le matin les enfants ont été envoyés jouer dehors. Heureusement on est fin Juin et il fait beau. Mais le temps passe et les petits s'ennuient. Guy pleurniche. Jacques assis par terre dans la poussière de la cour revoit son alphabet essayant de ne pas voir tout ce qui se passe autour de lui.

Il sait qu' un bébé va arriver. Il a gardé le souvenir de la venue du petit Michel... Aujourd'hui tout est comme cette fois là. Enfin pas tout à fait tout puisque papa n'est plus là pour occuper les petits !

La mère "guette au trou" est arrivée depuis des heures. Jacques ne sait pas encore qu'il s'agit d'un surnom pas plus qu'il ne devine ce qu'il signifie en réalité. Mais à son âge, il se dit que c'est un drôle de nom et qu'il n'aimerait pas s'appeler ainsi. Il sait ce qu'est "guetter" et aussi ce qu'est un "trou" et ne souhaite vraiment pas être celui qui guette pour savoir ce qui va sortir du trou.

Elle est marrante cette mère "guette au trou". Ronde comme une balle elle se déplace à toute vitesse sur ses petits pieds qu'elle active comme des pistons. Elle porte des godillots été comme hiver et une longue jupe noire qui cache ses chevilles. Son corsage blanc à dentelles est gonflé comme une voile et ses cheveux gris ramenés en chignon comme ceux de grand-mère.

Grand-mère est là bien sûr qui s'active aussi. Elle fait chauffer de l'eau qu'elle monte dans la chambre de maman. Elle vient voir ce que font les enfants, leur distribuant au choix une pomme ou un sourire.

Jacques est content qu'elle soit là depuis la mort de papa, car maman ne s'occupe guère de lui. Pas beaucoup plus de Guy non plus d'ailleurs. Juste un peu. C'est que Guy est plus petit et se laisse faire quand elle le prend sur ses genoux et pleure sur son épaule. Jacques n'aime pas ça. Et puis ce gros ventre le gêne. Il est grand et lui aussi a de la peine. c'est à grand-mère qu'il va la dire, elle qui ne pleure pas bien que papa soit son fils. jacques l'a vu une fois pleurer en cachette, mais jamais quand les enfants ou maman sont là.

C'est la seule grand-mère que possède Jacques qui n'a aucun grand-père. Ses grands pères sont morts depuis bien longtemps. Moins que la mère de maman qui est morte quand maman était une petite fille, mais longtemps quand même. Avant la naissance de Jacques. Et Norbert, papa, n'avait ni frère ni soeur...

Tiens voilà le docteur.

Il tapote en passant la tête des garçons leur demandant si ils prennent bien chaque jour leur potion. Les petits acquiescent en secouant la tête. Ils ne risquent pas de l'oublier. Maman veille au grain ! Sauf ce matin où grand-mère leur a donné la cuiller d'huile de foie de morue qui parait-il les garde en bonne santé.

Le docteur content hoche la tête ce qui bouscule sa longue barbe noire et blanche et faire rire le petit Guy, avant de s'en aller bien vite vers l'intérieur de la maison d'où parviennent aux enfants de longs gémissements.

Jacques devine que c'es dans le gros ventre de maman que se cache le bébé car la dernière fois maman a perdu ce ventre énorme après l'arrivée du petit frère. Par contre il a beau se creuser les méninges, il ne parvient pas à deviner par où peut bien sortir ce bébé... En tout cas ça n'a pas l'air très agréable à entendre les cris de maman et Jacques tout en serrant contre lui son petit frère effrayé espère bien fort n'avoir jamais de bébé dans son ventre.

Maman ne crie plus. C'est un pleur de bébé qui envahit la cour chauffée au soleil. Un frère ou une soeur ? Jacques a entendu maman dire qu'elle aimerait bien une petite fille après ses trois garçons... Jacques lui s'en fiche complètement et Guy encore plus qui ne sait même pas ce qui arrive.

C'est encore un garçon. Un petit frère que Jacques connait déjà. C'est le petit Michel revenu après tout ce temps... Grand-mère l'a dit en leur montrant le bébé emmitoufflé dans des couvertures d'où sortent un minuscule visage tout chiffonné.

-"C'est votre petit frère. Michel."

Jacques en est resté tout interloqué.

Ainsi le petit Michel est revenu. Mais pourquoi maman ne le leur a t-elle pas dit ? Et pourquoi a t-elle dit qu'elle espérait une petite fille ? Elle devait bien savoir que c'était le petit Michel qui revenait pour tout recommencer à zéro. Car quand il est mort il était bien plus grand que ce que Jacques vient de voir.

Mais alors, papa reviendra t-il lui aussi ? Et s'il revient sera t-il un bébé ?

Jacques n'aimerait pas ça du tout. Lui, il veut que son papa revienne comme il était mais sans la maladie qui le faisait tousser. Peut-être sera t-il juste un peu plus jeune... Jacques ne sait que penser ! Il est tout étourdi par cette nouvelle. Le retour du petit Michel lui laisse espérer celui de papa et ça c'est quelque chose qui lui fait plaisir et lui fait peur en même temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



02/12/2008
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